Enfin la démocratie directe

La place fédérale – Septième étape de mon tour d’horizon de l’histoire de la démocratie suisse

Nous nous trouvons maintenant sur la place fédérale. Elle été inaugurée en 2004 après rénovation. Elle symbolise la nation suisse avec ses Etats, les cantons. Ils sont représentés ici par les 26 fontaines. Ceux-ci ne sont qu’une source, la fondation c’est ce ciment fait en pierre qui vient des alpes.

Le radicalisme de 1848 n’était pas un parti uni. C’était un mouvement avec beaucoup de tendances. A l’heure de construire un nouvel Etat, les tenants de ces tendances commencèrent à se diviser.

Jakob Stämpfli, un élève des frères Snell, devint conseiller fédéral en 1850. Il représentait le canton de Berne. Et il représentait le radicalisme national. En 1875, il finît de construire le Palais fédéral que vous avez ici sur ma gauche. Il ne se gêna pas de percevoir des impôts à cet effet en ville de Berne. Il racontait qu’il ne le ferait qu’une seule fois. Mais après il affirma que ces impôts ne suffisaient que pour la construction d’un seul étage. On récolta encore, une dernière fois, disait-on. Ces impôts ne suffirent pas pour finaliser le palais jusqu’au toit. Ainsi on instaura définitivement l’impôt en ville de Berne et on put finir de construire le palais. Après son départ du conseil fédéral, Jakob Stämpfli fonda aussi la banque fédérale, l’ancêtre de la banque nationale suisse. On le voit bien : cet homme envisageait de faire de la Suisse un Etat puissant.

Le libéralisme économique ne se fit pas de liens forts avec le radicalisme politique. Ce premier était beaucoup plus capitaliste et n’appréciait guère l’ingérence de l’Etat. Alfred Escher était le plus grand de ses chantres. Il venait de Zürich et comme il était conseiller national, il vint à Berne. Il était aussi dans le gouvernement zurichois et il était président d’un nombre de sociétés ferroviaires. Il était président de la haute école technologique fédérale. Et il était président de l’établissement suisse de crédit. Ça lui facilita la gouvernance. Il signa beaucoup de contrats avec lui-même pour diverses constructions ferroviaires vu qu’il était ministre et concessionnaire dans le domaine ferroviaire.

Dans les années 1860 un nouveau mouvement qui s’appelait le mouvement démocratique vint contrer l’hégémonie des hommes politiques et des chefs d’entreprise. Ce mouvement demandait qu’on laisse le peuple participer aux décisions. Il ne suffisait plus de voter et les pétitions ne voulaient pas dire grand chose. Il demandait des droits populaires. Il demandait que les décisions prises par votation populaire soient contraignantes et respectées par le parlement et le gouvernement.

A l’époque on ne connaissait qu’un seul droit populaire : le vote constitutionnel qui avait amené à la nouvelle constitution en 1848. Mais avec ce vote, il était seulement possible de changer toute la constitution d’une seule fois. C’était une sorte de rempart contre l’opposition que nourrissaient les cercles catholiques conservateurs déchus contre l’Etat fédéral.

En 1874 un référendum introduisit la possibilité de soumettre au vote du peuple les lois édictées par le parlement. Cette possibilité existe jusqu’à date. C’est le référendum facultatif, une invention suisse. En 1891 on instaura un autre droit populaire, l’initiative populaire. Grâce à elle, les citoyens peuvent demander la révision d’un article constitutionnel. L’adoption d’un tel projet demande la double majorité : celle du peuple et celle des cantons.

Avec les droits populaires arrivent en Suisse les partis politiques. Le PDC acutel a ces racines dans le milieu catholique-conservateur. Aujourd’hui il est un parti du centre, mi-conservateur, mi-moderne. Le mouvement libéral-radical est le père de trois partis politiques: premièrement du PRD actuel, un parti plutôt libéral dans le sens economique, positioné à droite; deuxièmement du PS actuel, le plus grand parti de la gauche, et troisièmement de l’UDC, placé dans le milieu nationaliste-conservateur. Depuis 1959, ces quatre partis politiquee sont membre du même gouvernement au niveau national.

Le rapprochement des deux partis, le PRD et le PDC en 1891 ne s’est pas fait volontairement. Ce rapprochement bourgeois fut facilité par la création du Parti socialiste suisse, un parti des travailleurs qui polarisait dans une toute autre tradition. Même s’il ne prônait pas la dictature du prolétariat, il soutenait la lutte des classes avec les armes de la grève. C’est seulement après que les socialistes ont appris à se servir des armes de la démocratie populaire : faire des revendications politiques grâce aux initiatives populaires et bloquer la politique de droite grâce au référendum. Jusqu’en 1918 un climat de lutte des classes régna, la guerre faisait rage. Ce climat put graduellement faire place à la concordance dans les affaires politiques ainsi qu’au partenariat social dans les questions du travail.

Presque tout dans le système politique suisse est importé : les valeurs venues de la France, la théorie de l’Allemagne et les institutions des USA. Seuls les droits populaires sont spécifiquement une invention suisse. Ils ont émergé du mouvement démocratique qui s’est opposé à toute accaparation de pouvoir. Ces droits ont durablement marqué le système politique suisse.

Les droits populaires sont intensivement utilisés en Suisse. Depuis que le parlement actuel a été élu il y a 4 ans, nous avons eu 26 votations sur des questions de fond. Nous avons par exemple plusieurs fois dit oui à l’intégration européenne à travers les accords bilatéraux. C’est ainsi que nous avons adhéré aux accords de Schengen et Dublin. Nous avons étendu la libre circulation des personnes à tous les Etats membres de l’UE. Nous avons dit oui à une loi sur les cellules souches. Nous avons par contre dit non à l’utilisation des réserves excédentaires d’or par le peuple. Et nous avons refusé la réduction des prestations fournies par l’assurance vieillesse. Ainsi, nous nous sommes graduellement donné un programme politique. Le centre politique a toujours gagné, la droite et la gauche ont tous déjà perdu des votations.

Les droits populaires sont aujourd’hui le cordon qui lie les Suissesses et les Suisses. Nous sommes fiers de ces droits. Cette fierté a émergé au cours du 19ème siècle. L’avènement des droits politiques a coïncidé avec la réunification de l’Italie. Jusqu’en 1871, la Suisse était, du point de vue de sa superficie, un pays comme les autres. La France était naturellement beaucoup plus vaste, mais les voisins au sud, au nord et à l’est ne l’étaient pas. Avec la réunification de l’Italie et la taille de la France, la Suisse se retrouva toute petite.

La Suisse n’est pas un Etat national, même jusqu’à maintenant. Elle est une nation des nations comme l’a dit récemment un politologue. Et cette nation des nations a besoin de mythes.

Un de ces mythes est né en 1891. Etonnament, il a à voir avec la création de l’Etat de Berne en 1191. En 1891, la ville de Berne fêta avec pompe son 700ème anniversaire. Le ministre de la justice de l’époque s’illustra en déclarant 1291 date de naissance de la Suisse. Ainsi on fêta deux anniversaires en même temps. Le 700ème de la ville de Berne et le 600ème de la confédération. Et comme cadeau d’anniversaire on introduisit un deuxième droit populaire, l’initiative populaire, sans même passer par les urnes.

De la même façon qu’on ne peut pas dire que la Suisse actuelle existe réellement depuis 1291, on dira que la démocratie suisse n’a pas existé depuis cette époque. En 1798, Napoléon chercha à démocratiser la Suisse depuis le haut. Ça ne marcha pas. A partir de 1830, les libéraux certains cantons petit à petit, vers 1845 les radicaux vinrent renforcer la démocratisation. En 1848 la Suisse était mûre pour la démocratie représentative. Et dès 1874, elle passa graduellement à la démocratie directe. La démocratie n’émerge que si l’on se bat pour elle.

La démocratie ne s’est pas faite toute seule et elle na va pas de soi. Elle a connu ses hauts et ses bas, comme tous les autres système exigeants. Une des difficultés les plus poignantes vint du mélange qu’on a fait des idées anglosaxonnes qui distinguent gouvernement et opposition avec les idées des droits populaires qui considèrent le peuple comme opposant des autorités.

Nous devons maintenant résoudre cette contradiction- dans notre dernière étape. Soyez fiers. Spécialement pour vous, le tour d’horizon va pour la première fois se terminer dans la salle de réunion du gouvernement fédéral.

Randonneur urbain

(Traduction: Patrick Mbonyinshuti Aebersold)

Des institutions américaines

Le restaurant “Zum Äusseren Stand” – Sixième étape de mon tour d’horizon de l’histoire de la démocratie suisse

La Suisse de 1848 était une république. La notion de république n’est plus d’actualité en Suisse aujourd’hui. A l’époque elle valait tout son sens. En effet, elle distinguait la Suisse des monarchies qui l’entouraient. Surtout l’Autriche avec son système totalement monarchique. Beaucoup moins la France qui depuis 1792 oscillait entre monarchie et république.

Depuis l’époque des Lumières, la notion de république voulait désormais dire qu’il fallait diviser les pouvoirs. Celui qui décrète les lois ne doit pas se charger de leur exécution et celui qui les exécute ne doit pas juger. En plus, un parlement devait fixer les tâches du gouvernement et des tribunaux. Et il devait accorder les droits civils des citoyens dans et envers leur Etat. Les lois devaient tenir compte de ces droits et ainsi protéger les individus de tout arbitraire. L’Etat de droit était né.

On décida que des élections auraient lieu tous les quatre ans. Le nombre des conseillers nationaux fut fixé proportionnellement à la population de la Suisse, respectivement des cantons. Si la population ou les cantons augmentaient, on devait aussi augmenter le nombre de conseillers nationaux. Le Conseil des Etats fut lui limité à deux représentants de chaque canton. Il comprenait 44 membres. Le Conseil fédéral devait être composé de sept personnes et être dirigé par un président de la confédération qui devait aussi être le représentant de la Suisse envers l’étranger.
On décida que le gouvernement fonctionnerait comme un collectif et que chaque conseiller fédéral devait diriger un département. Ce système est d’origine suisse.

Le premier Conseil fédéral se réunissait dans le palais d’Erlach que nous avons déjà vu. Le premier Conseil national lui, siégeait dans la Haute école bernoise. Le bâtiment n’existe plus. A sa place on a construit un casino. C’est pour cela que nous visitons maintenant ici l’endroit où le premier conseil des Etats siégeait, dans le Äusserer Stand, ce qui peut se traduire par Parlement des jeunes des familles patriciennes.

La classe dirigeante du nouvel Etat fédéral se composait des éléments qui étaient venus à bout des forces du “Sonderbund”. Le mouvement radical rassemblait les divers libéraux et radicaux qui avaient détrôné les fédéralistes conservateurs. Cette classe dirigeante était donc diverse et ne formait pas un parti uni. L’unification de la famille radicale se fit beaucoup plus tard.

Les élections à suffrage majoritaire profitèrent aux radicaux. Ils contrôlaient le Conseil des Etats comme le Conseil national. Le conservateurs de tout bords se vurent devenir la minorité. Même dans certains de leurs cantons du “Sonderbund”, ils perdirent les élections à cause de leur mauvaise préparation. La nouvelle composition du Conseil fédéral refléta la répartition des forces de l’époque : sept radicaux dirigèrent le pays. Trois d’entre eux venaient de ce qu’on appelait les faubourgs : Zürich, Berne et Vaud devaient avoir un siège fixe au Conseil fédéral alors que les autres 19 cantons devaient se partager les 4 sièges restants. Il fallait en plus respecter certaines règles de la démocratie représentative qui devaient avait un effet intégratif : cinq conseillers fédéraux devaient être alémaniques, un roman et un tessinois. Cinq devaient être réformés, seul deux représentant la confession catholique. Comme en 1848 on ne reconnaissait le droit de vote qu’aux hommes, il ne fut même pas question de parler de femmes dans la constitution de ce nouveau Conseil fédéral.

L’implantation des instances fédérales à Berne eut son origine dans le fait que les négociations qui les avaient précédé avaient été faites dans cette ville. En réalité c’est Zürich qui fît tout pour devenir la capitale de la Suisse. On s’attendait à ce que le Conseil fédéral, le Conseil national et le Conseil des Etats aient leur siège à Zürich. Hélas Zürich eut seulement le privilège de fournir le premier président de la confédération suisse.

A la surprise de tous, c’est Berne qui devint ville principale. Son statut de pont entre les différentes communautés linguistiques fut décisif. Mais ça suscita des jalousies. On adopta un astuce qui devint plus tard un instrument typique de la démocratie suisse : pour que Berne ne soit pas trop influent, on décida qu’il n y aurait pas de capitale suisse au vrai sens du mot. Le parlement décida que les cantons étaient souverains et qu’ils avaient juste prêté leurs pouvoirs à la confédération qui les réunissait. C’est pour cela qu’ils n’avaient pas besoin d’une capitale. Une ville fédérale comme siège du gouvernement et du parlement devait alors suffire. C’est ainsi que Berne reste jusqu’à date seulement ville fédérale et non pas capitale tout court.

En décidant ainsi les confédérés avaient une fois fait preuve de pusillanimité. La générosité et l’ouverture marquèrent tout de même les avancées de 1848. C’était un événement historique que d’avoir fondé l’Etat fédéral de 1848 comme république souveraine. On n’avait importé le système de nulle part. D’ailleurs l’esprit démocratique était resté en jachère pendant le 19ème siècle. L’idée de la souveraineté du peuple était restée sous l’ombre des aspirations féodales et/ou capitalistes des couches dirigeantes.

En 1848, cette idée de la souveraineté du peuple avait enfin gagné. La Suisse était désormais une démocratie représentative et la constitution du 12 septembre 1848 avait permis au peuple de voter avec des principes clairs.

Toutefois, le système politique suisse n’avait pas encore fini d’être perfectionné.

Dans la prochaine station de notre visite, je vous montre comment le processus s’est poursuivi.

Randonneur urbain

(Traduction: Patrick Mbonyinshuti Aebersold)